Les voix de la rééducation #2
par Marie Cervera le 2 déc. 2022 11:06:48
Est-ce que vous pouvez vous présenter ?
Bonjour, je m'appelle Thomas Davergne, je suis kinésithérapeute de formation et j'ai une orientation autour de la rhumatologie. Je suis aussi enseignant en formation initiale et en master en couplant une activité de recherche. Je réalise actuellement ma recherche en collaboration avec Axomove.
Quelle est votre implication dans la rhumatologie ?
Actuellement, la prise en charge des patients en kinésithérapie libérale est exclusivement orientée autour de la rhumatologie et plus spécifiquement pour les patients qui ont un rhumatisme inflammatoire.
Ce sont par exemple les patients qui sont atteints de spondylarthrite ou les patients qui ont une polyarthrite rhumatoïde. Je ne prends maintenant plus que ce type de patients.
J'ai une autre implication aussi en rhumatologie puisque je participe à différents travaux de recherche autour de la rhumatologie et notamment des rhumatismes inflammatoires. Enfin, je suis membre actif de plusieurs réseaux en rhumatologie.
Qu’est-ce qui vous a poussé à vous spécialiser dans ce domaine ?
Alors bonne question. Suite à mon diplôme 2013 en kinésithérapie et suite à ma formation initiale, j'ai voulu me spécialiser pour en savoir plus sur la recherche clinique. J’ai donc passé un premier master, puis un deuxième à Paris. Ensuite, j'ai tenu à réaliser une thèse que je voulais clinique, c'est à dire essayer de ne pas être sur un sujet trop fondamental, un peu plus éloigné du patient, mais vraiment qui s'intéresse à la vie du patient, à ses paramètres cliniques en situation vraiment réelle de soi. Cependant, les centres de recherche en rééducation sur le bassin parisien, il n'y en a pas énormément. Une des équipes que j'ai rencontrées m'a ouvert ses portes : c'était l'équipe du professeur Bruno Fautrel à Paris, à la Pitié-Salpêtrière, en rhumatologie. J'ai réalisé ma thèse avec Laure Gose, professeur en rhumatologie. C'est grâce à elle que j'ai redécouvert les affections en rhumatologie et plus spécifiquement les rhumatismes inflammatoires chroniques puisque c'est sa spécialité.
La rhumatologie, ça comprend de nombreuses pathologies. Et pourquoi vous êtes-vous orienté vers les rhumatismes inflammatoires en particulier ?
En rhumatologie, on s'occupe de toutes les affections musculosquelettiques et articulaires, cela comprend de manière assez prévalente la lombalgie, les patients arthritiques et de manière un peu plus minoritaire, les patients qui ont un rhumatisme inflammatoire. Ce qui m'a intéressé dans la démarche des rhumatismes inflammatoires, c'est qu'au cours de ma thèse, je me suis rendu compte en épluchant la littérature actuelle que ces dix dernières années avaient été très riches en termes de nouveaux traitements et nouvelles preuves d'efficacité. On a aujourd'hui des nouveaux outils à proposer aux patients qui changent beaucoup avec ce qu'on pouvait proposer par le passé. Je me suis rendu compte que ces informations sont peu passées dans la communauté des professionnels de santé et que la plupart du temps, les patients n'étaient pas pris en charge selon les dernières recommandations actuelles. Celaa m'a motivé à creuser un peu plus, car j'y ai vu une façon d'optimiser les prises en charge des patients.
Justement, que proposez-vous pour les patients atteints de rhumatisme inflammatoire ?
Les stratégies vont être différentes en fonction du type de rhumatismes : si on est sur une spondylarthrite ou une polyarthrite. La méthode va aussi dépendre du stade de la maladie : période de crise inflammatoire ou de rémission, donc quand l'inflammation est calmée.
Prenons par exemple un patient qui a une spondylarthrite débutante qui est en crise inflammatoire et pour qui on est en train de chercher le meilleur traitement possible. La première des missions pour le thérapeute, va être d'éduquer le patient, lui faire comprendre pourquoi il a mal, qu'est ce qui fait qu'il a mal et surtout qu'est-ce qu'il va pouvoir réaliser dans ses comportements de santé pour que l’inflation et la douleur diminuent. Les patients pensent souvent que s’ils ont mal quand ils bougent alors il faut arrêter de bouger. On sait aujourd'hui que c'est plutôt l'inverse : si j'ai mal en bougeant, c'est peut-être en continuant de bouger de manière raisonnée que plus tard j'aurai moins mal.
Ce qui est particulier avec ces pathologies, c'est qu’on ne constate pas les bénéfices du mouvement tout de suite. Il ne se verra pas au moment de la séance, ni le lendemain, ni même le surlendemain. Parfois, il va falloir attendre une ou deux semaines, voire même un mois pour qu'on commence à observer le bénéfice qu'a représenté la remise en activité. Donc le premier rôle, à mon sens, du kinésithérapeute, va être d'élaborer un plan de remise en mouvement avec le patient, raisonner dans des amplitudes qui challengent suffisamment les mobilités articulaires sans déclencher de crise inflammatoire. On va ajuster le plan au jour le jour avec le patient.
Informer le patient des mécanismes de sa maladie permet de le laisser libre d'adopter ou non certains comportements. A savoir typiquement la mise en place d'une activité physique régulière, l'arrêt du tabac, un rythme de sommeil équilibré ou une exposition au stress modéré si le patient a la main dessus, car on sait que tous ces facteurs ont tendance à favoriser l'inflammation.
On peut ainsi dire que plus le patient est reposé, moins il est stressé, plus il a réalisé d'activités physiques, notamment une activité aérobique régulière, plus les traitements qu'il va prendre seront efficaces et donc moins il aura besoin d'en prendre, moins il aura de douleurs et d'inflammation et plus il pourra reprendre sa vie normale.
On comprend que l'éducation thérapeutique des patients est importante. Mais est ce qu'on peut dire aussi que l'éducation des professionnels de santé est importante ? Surtout sur ces pathologies qui sont peu connues ?
Effectivement, l'éducation du patient passe par le thérapeute. Cela nécessite que le thérapeute soit lui-même au courant des derniers standards en termes de prise en charge de ses patients. Il sera donc le premier acteur durant le traitement, avec un rôle clé dans l'éducation du patient. Deuxièmement, et ça, je pense que c'est aussi très important de le garder en tête, c'est que le kinésithérapeute voit passer à son cabinet des tas de pathologies différentes, plus ou moins bien étiquetées par les médecins généralistes par exemple, une lombalgie commune suite à des douleurs dans le dos, car c'est ce qui semble le plus logique à diagnostiquer dans un premier temps. Du coup, le kinésithérapeute est vraiment au premier rang, pour identifier précocement si le problème n'est pas mécanique, mais ressemble à un phénomène inflammatoire.
Et on sait qu'aujourd'hui il y a un délai de diagnostic qui est colossal. Ça veut dire qu'entre le moment où un patient qui a une spondylarthrite commence à avoir mal et ce sont des douleurs terribles, et le moment où on lui diagnostique officiellement une spondylarthrite, il faut compter en moyenne huit ans et demi. Donc huit ans et demi, de peur, de doute, d'angoisse. Ça veut dire que si aujourd'hui je commence à avoir mal dans la fesse, je vais potentiellement devoir attendre 2030 pour savoir ce que j’ai exactement. Ce n’est qu’en 2030 qu'on va me dire “c'est bon, maintenant on est au courant, on sait ce que vous avez”.
Donc c'est le rhumatologue qui va poser le diagnostic et après c'est le kinésithérapeute qui prend le relais ou le rhumatologue a encore un rôle à jouer après le diagnostic ?
Sans avoir à poser un diagnostic, puisque ce n'est pas officiellement mon rôle, j'invite le médecin à revoir au vu des nouveaux signes que j'ai trouvés, et éventuellement envoyer ce patient chez le rhumatologue puisque c'est chez le rhumatologue que le reste du traitement va se passer.
Quels sont les projets à venir en rhumatologie?
Toujours dans la volonté d’informer les confrères, il va y avoir en 2023 plusieurs supports qui vont être mis à disposition des kinésithérapeutes :
- la rédaction d’une encyclopédie médico-chirurgicale sur la rééducation spondylarthrite au printemps 2023
- la réalisation d’une master class de deux jours sur la prise en charge des patients avec un rhumatisme inflammatoire
- la mise en place d’un e-learning (toujours sur cette rééducation du patient atteint de spondylarthrite)
Le but de toutes ces actions est de diffuser le plus largement possible les connaissances actuelles pour les thérapeutes qui sont toute la journée en cabinet. En parallèle, la diffusion se fait aussi via les sociétés savantes, notamment via l’EULAR. L’EULAR c’est la Société Savante Européenne de Rhumatologie à laquelle je participe, notamment pour le groupe des professionnels paramédicaux. Cela passe par la dissémination d’informations, de formations et le congrès qui est réalisé tous les ans. Il aura lieu en juin 2023 à Milan, en Italie.
C’est la première mission que je me donne : diffuser de l’information.
La deuxième mission que je me donne est de déposer des projets de recherche. On est en train de déposer un projet pour une recherche européenne en partenariat avec la Turquie, les Pays Bas et la France pour mieux comprendre ce qui freine les patients qui sont atteints de rhumatisme inflammatoire à respecter leur programme. Aujourd’hui, on ne sait pas ce qui est efficace. Cela peut paraître un peu déconcertant. Comment réussir à motiver les patients qui ne réalisent pas leurs exercices? On peut être facilement désemparés. Mon pari est qu’à l’avenir on trouve des prises en charge efficaces pour pouvoir être plus motivants pour les patients, c’est à cela que sert notre recherche européenne.
Le troisième projet c’est la construction, le tournage et la diffusion de vidéos de yoga thérapie pour les patients qui ont un rhumatisme inflammatoire. Il y a un consensus assez fort pour dire que le yoga est une super thérapie, sauf qu’on trouve peu de yoga thérapeutiques. Si vous allez sur Youtube et que vous tapez “‘yoga” et “rhumatisme inflammatoire”’ vous n’allez quasiment rien trouver. Le but du jeu est de développer avec des comités d’experts une série de vidéos qui permettent aux patients de trouver facilement sur Youtube de quoi réaliser 20 à 30 minutes de yoga adapté pour eux.
En parallèle, vous travaillez pour Axomove, une application qui permet d’autonomiser les patients. Est-ce qu’il y a un lien entre les deux, entre Axomove et votre expertise sur la rhumatologie ?
Oui, il y a un lien direct puisque les patients qui ont un rhumatisme inflammatoire n'en seront jamais guéris, on pourra au mieux viser une rémission, c'est-à-dire une activité inflammatoire très basse. Cependant, ils auront toujours ce problème et auront toujours besoin de rester observants à une activité physique régulière, de garder une forme d'autonomisation. C’est d’ailleurs ce que je dis souvent à mes patients : “vous allez avoir besoin d'exercice toute votre vie, mais vous n'allez pas avoir besoin de kinésithérapie toute votre vie”. La distinction est là : c'est que très rapidement, le but du jeu est que le patient s'autonomise. Mais pas forcément sans être accompagné ! En effet, le patient peut être accompagné à distance. C’est exactement ce que propose Axomove. C'est une application qui aide le thérapeute à autonomiser son patient et qui aide à superviser à distance son patient avec du matériel éducatif qu'on peut transmettre, avec des programmes vidéos que l’on construit avec le patient.
On peut contacter par message le patient. Le thérapeute continue de suivre le niveau de douleur du patient, etc. De mon côté, je peux suivre ce que fait mon patient et si je vois qu'il est en train de baisser dans son adhésion ou que en ce moment il a particulièrement mal quand il fait ces exercices, je peux le recontacter pour lui suggérer de réaliser une séance intermédiaire avant de le revoir comme prévu trois mois plus tard quand il est dans la phase d'autonomisation. Et donc pour moi Axomove, c'est un outil extrêmement utile pour justement pallier ce problème d'autonomie. Jusqu'à présent, j'étais assez impuissant pour garder la motivation de mes patients les moins motivés. Et donc là c'est un outil de plus qui permet de motiver mes patients, de les suivre, de les rassurer à distance.
On arrive à la fin de cette interview, est-ce que vous avez un mot pour conclure ?
Pour conclure, je dirais que les connaissances avancent très vite en rééducation et ce en à peine dix ans. On a un consensus assez clair qui est arrivé dans le monde de la rééducation, pour relativiser le potentiel des traitements passifs et mettre en avant l'activité physique. L'activité physique était déconseillée pour beaucoup de pathologies, comme la lombalgie par exemple, il y a encore dix ans. Beaucoup de choses se construisent et se déconstruisent en termes de représentation du handicap et de la rééducation. Un des conseils que j'aurais envie de donner, c'est continuer de suivre l'actualité médicale, les podcasts, les vidéos, les formations…. Parce que la rééducation va encore progresser. Peut-être que dans 30 ans, même dans 20 ans, 10 ans, on comprendra beaucoup mieux la lombalgie chronique. On saura apporter à ces patients des solutions efficaces quand aujourd'hui, on reste encore assez impuissant pour beaucoup de problèmes douloureux. Je pense que se former en continu, c'est sans doute la clé indispensable pour bien traiter ses patients.
Si j'avais un deuxième (et dernier) message à passer, ce serait de garder à l'esprit que la rééducation, ce n’est pas simplement être face à face avec son patient et le toucher. Plus j'avance dans ma compréhension des pathologies chroniques, plus je me représente la rééducation comme quelque chose qui va au-delà du cabinet, qui va au-delà du face à face, qui va au-delà du toucher. C’est accompagner le patient vers une autonomie, le superviser à distance me semble de plus en plus important, notamment pour tous ces patients qui sont chroniques et qui ont besoin de garder leur rééducation (et non nécessairement de garder leur kinésithérapeute).
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