Gérer les horaires décalés

Le travail de nuit, les astreintes ou le travail du dimanche sont divers types d’horaires décalés. 

L’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) a publié un rapport en 2016 sur le travail de nuit1. Il y était repéré des effets avérés du travail de nuit sur la qualité et quantité du sommeil, sur la somnolence et sur le tour de taille associé à des signes de moins bonne santé des vaisseaux. 

D’autres effets sur la santé physique et mentale étaient probables, potentiellement majorés par des difficultés à avoir une vie sociale.

Mais comment gérer ces risques ? Il faut porter attention à plusieurs éléments : le rythme circadien, la quantité de sommeil et les interactions sociales.

Le rythme circadien (l'horloge interne)

Vous le savez peut-être, notre corps fonctionne comme une horloge biologique. Des changements hormonaux arrivent tout au long de la journée, avec des changements de nos comportements et du fonctionnement de notre corps. Un exemple évident est la sécrétion de mélatonine, l’hormone du sommeil qui vient contrôler au moins deux choses : la température du corps et le cycle veille-sommeil2.

Cette sécrétion de mélatonine est régulée par l’exposition à la lumière, ce qui expliquerait qu’une bonne partie des personnes en situation de cécité aient des troubles du sommeil2.

C’est pour cette raison que vous avez déjà entendu parler des risques de la lumière bleue pour le sommeil et que vous avez peut-être vu des applications sur votre téléphone pour réduire celle-ci voire des lunettes avec des filtres anti-lumière bleue pour éviter que notre smartphone vienne retarder notre sécrétion de mélatonine et donc notre moment de sommeil.

Ne vous trompez pas, c’est bien la lumière en général qui joue sur notre rythme biologique3. Des éléments peuvent faire penser que la portion de lumière bleue, dans toute cette lumière pourrait être celle qui diminuerait le plus l’endormissement, mais les filtres anti-lumières bleus sont loin d’avoir fait démonstration d’effets aujourd’hui4, donc en attendant des implications pratiques de ces informations, peut-être qu’il n’est pas utile de se polluer la tête avec ça.

Pourquoi parler de l’horloge interne ? Eh bien, c’est simple ! L’exposition à la lumière fait partie des stratégies qui aident à gérer les troubles liés aux horaires décalés : Un bol de lumière intense dans les situations où vous êtes censé être éveillé et en forme et de la lumière beaucoup plus réduite dans les moments où vous êtes censé être proche du sommeil sont des stratégies qui pourraient être efficace pour améliorer le sommeil et diminuer la somnolence des personnes travaillant en horaires décalés5. Si vous travaillez de nuit par exemple, même de la lumière artificielle vous aidera à créer l'éveil nécessaire aux bonnes performances au travail et chez-vous, réduire la luminosité en fermant les volets vous aidera à plus facilement trouver le sommeil.

Réguler l’horloge interne pourrait bien avoir d’autres répercussions puisqu’elle joue sur l’obésité, les troubles mentaux et la bonne santé du système nerveux, du cœur et des artères6.

La quantité de sommeil

Tout comme il n’y a probablement pas eu de grande surprise de votre côté d’apprendre que les horaires décalés pouvaient déclencher des troubles du sommeil, l’étonnement ne vous investira probablement pas en lisant que le sommeil est bon pour la santé.

Pour être précis, la National Sleep Foundation a établi une fourchette d’horaires7 à respecter en fonction de votre âge :

Mais que faire pour améliorer cela en dehors de gérer l’exposition à la lumière comme évoqué plus tôt ? Il existe ce que nous appelons les Thérapies Cognitives et Comportementales de l’Insomnie et celles-ci pourraient avoir une certaine efficacité pour améliorer divers aspects de votre sommeil5.

Qu’est-ce donc ? Les TCC-i sont généralement composées de 3 grands éléments :

  • - Des conseils d’hygiène de sommeil : sur l’environnement et la consommation de substances
  • - Un contrôle des stimulus : Faire en sorte que votre lit devienne un stimulus pour le sommeil
  • - Une restriction du sommeil : Faire exprès, dans certaines circonstances, de restreindre votre temps de sommeil pour être épuisé et vous endormir directement dans votre lit au moment qui est adéquat pour éviter de passer trop de temps au lit sans dormir.

Les personnes les plus efficaces pour utiliser ces TCC de l’insomnie sont des psychologues, et maintenant c’est remboursé par la sécurité sociale, dans certaines conditions.

Si toutefois vous n’êtes pas en mesure d’améliorer votre sommeil, il y a toujours la possibilité de compenser. En fait, une partie des effets du manque de sommeil sur notre santé peuvent être attribués à de l’inflammation de bas grade, c’est-à-dire des molécules favorisant l’inflammation qui circulent dans le sang8. Et cela tombe bien parce que l’activité physique joue complètement là-dessus9. Pour vous donner un exemple, nous savons que les personnes qui ont des troubles du sommeil ont tendance à avoir plus de douleurs10 et qu’améliorer ce sommeil avec les TCC-i peut améliorer les douleurs11.

Et pourtant, quand nous faisons suivre un programme d’exercices aux personnes qui ont des douleurs et des troubles du sommeil, leurs douleurs s'améliorent. En revanche, ajouter des TCC-i au programme d'exercice, bien qu’améliorant le sommeil, n’améliore pas plus les douleurs12.

Cela est intéressant puisque cela ouvre l’éventail des possibilités pour une bonne santé.

Les interactions sociales

Peut-être cela ne vous semble pas évident, mais les interactions sociales semblent essentielles à une bonne santé. Certes vous devez avoir en tête qu’une personne isolée n’a pas forcément une bonne santé mentale, mais même physiquement, les interactions sociales nous maintiennent en forme. Pour vous donner un exemple, la mortalité toute cause confondue était associée à l’isolement social13.

Cela peut s’expliquer par plusieurs manières, des changements dans notre système de réponse au stress, à simplement de plus mauvais styles de vie : consommation d’alcool, de tabac, moins d’activité physique, ne pas prendre ses médicaments… une sorte de laisser aller.

Donc, si vous en avez l’opportunité, ne négligez pas les interactions sociales, prenez du temps pour voir un proche chaque semaine. Appelez des personnes de temps à autre, et si vous pensez manquer de personnes dans votre entourage, pourquoi pas vous inscrire  des clubs de loisirs ou d’activités physiques pour y rencontrer des personnes ?

Résumé

Lorsque vous travaillez avec des horaires décalés, il y a quelques options pour vous aider à être en meilleure santé et mieux vivre :

  • - Gérer votre horloge biologique grâce à l'exposition à la lumière ou à son évitement.
  • - Améliorer la qualité du sommeil grâce aux TCC-i qui vont vous aider à faire de votre lit un lieu de sommeil.
  • - Pratiquer de l'activité physique pour ses effets compensatoires sur la chimie à l'intérieur de votre corps si jamais vous manquez de sommeil.
  • - Penser à maintenir des interactions sociales.

Sources :

  1. 1. Expertise collective ANSES. Évaluation des risques sanitaires liés au travail de nuit. Preprint at https://www.anses.fr/fr/system/files/AP2011SA0088Ra.pdf.
  2. 2. Zisapel, N. New perspectives on the role of melatonin in human sleep, circadian rhythms and their regulation: Melatonin in human sleep and circadian rhythms. Br. J. Pharmacol. 175, 3190–3199 (2018).
  3. 3. Cho, Y. et al. Effects of artificial light at night on human health: A literature review of observational and experimental studies applied to exposure assessment. Chronobiol. Int. 32, 1294–1310 (2015).
  4. 4. Singh, S. et al. Blue-light filtering spectacle lenses for visual performance, sleep, and macular health in adults. Cochrane Database Syst. Rev. 8, CD013244 (2023).
  5. 5. Jeon, B. M., Kim, S. H. & Shin, S. H. Effectiveness of sleep interventions for rotating night shift workers: a systematic review and meta-analysis. Front. Public Health 11, 1187382 (2023).
  6. 6. Fishbein, A. B., Knutson, K. L. & Zee, P. C. Circadian disruption and human health. J. Clin. Invest. 131, e148286 (2021).
  7. 7. Hirshkowitz, M. et al. National Sleep Foundation’s updated sleep duration recommendations: final report. Sleep Health 1, 233–243 (2015).
  8. 8. Irwin, M. R., Olmstead, R. & Carroll, J. E. Sleep Disturbance, Sleep Duration, and Inflammation: A Systematic Review and Meta-Analysis of Cohort Studies and Experimental Sleep Deprivation. Biol. Psychiatry 80, 40–52 (2016).
  9. 9. Metsios, G. S., Moe, R. H. & Kitas, G. D. Exercise and inflammation. Best Pract. Res. Clin. Rheumatol. 34, 101504 (2020).
  10. 10. Runge, N. et al. The bidirectional relationship between sleep problems and chronic musculoskeletal pain: a systematic review with meta-analysis. Pain 10.1097/j.pain.0000000000003279 (2022).
  11. 11. Selvanathan, J. et al. Cognitive behavioral therapy for insomnia in patients with chronic pain - A systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. Sleep Med. Rev. 60, 101460 (2021).
  12. 12. Malfliet, A. et al. Cognitive behavioral therapy for insomnia in pain management for nonspecific chronic spinal pain. JAMA Netw. Open 7, e2425856 (2024).
  13. 13. Wang, F. et al. A systematic review and meta-analysis of 90 cohort studies of social isolation, loneliness and mortality. Nat. Hum. Behav. 7, 1307–1319 (2023).